Je m’apprête à tester ce Jukro coréen dont Alain ici, Matt là et Soïwater ici parlent en termes dithyrambiques… Je suis très impatiente, excitée aussi. J’ai donc décidé de ne pas petit-déjeuner, j’ai simplement mâché un morceau de pain pour faire disparaître le goût du dentifrice et ainsi rendre mon palais et mes papilles neutres pour aborder ce nectar. J’ai déjà testé un thé vert coréen que m’avait ramené mon amie Marielle, j’avais été transportée par tout ce qui s’en dégageait mais je ne peux rien en dire, tout était en coréen sur la boîte… je me dis donc que si le noir ressemble a les qualités du vert, je vais passer une matinée flamboyante ! J’ai donc recopié les durées d’infusion données par Alain mais je n’ai pas relu le reste ni ce qu’en ont dit Matt et Soïwater pour ne pas être influencée bien que je sois bien moins douée qu’eux pour parler de "ces parfums qui se boivent". Seule m’accompagne une grande feuille blanche où sont notés les 12 temps d’infusion. A très vite (mais pas trop) donc. Me revoilà, je suis dans un état second, comme un peu ivre, cela m’a fait penser à une réflexion de Vanessa qui m'avait étonnée à l'époque. Et voilà qu’à mon tour je connais cet état. Mais commençons par le début : j’installe avec une certaine fébrilité tout le matériel dont j’ai besoin en me disant que je dois me calmer un peu et pour cela je mets un de mes disques de thé. Je pèse exactement 4 grammes de feuilles et fais chauffer l’eau après avoir rincé plusieurs fois la petite Yixing élue, qui n’a pas encore servi. Je me sens prête maintenant, détendue, apaisée prête pour cette aventure gustative. 1e et 2e infusions (30’’): ce qui explose au sortir de la théière est l‘odeur de chocolat, et au goût, ce même chocolat et une consistance plutôt épaisse au niveau de l’infusion, couleur tirant sur l’acajou. Cela m’a immédiatement amenée à Vienne et plus particulièrement chez Demel, une de ces condittorei à faire damner un saint. C’est là que j’ai bu le meilleur chocolat chaud, moi qui n’aime pourtant pas le lait ! Cela commence donc fort. Et je continue mon voyage et mes émotions gustatives avec la 3e infusion (45’’) : celle-ci goûte le pain à la grecque, une spécialité typiquement bruxelloise dont je vous conterai l’histoire un autre jour, quand je serai passée chez Dandoy, où on trouve les meilleurs. Et pour les curieux impatients : c'est ici. La tasse à sentir, elle, m’évoque la crème brûlée… Tout comme la 4e infusion (50’’), en un peu moins prononcé peut-être, mais c’est difficile à dire tant mon palais est imprégné. J’ai été perturbée à la 5e infusion (1’) par le coup de sonnette du facteur, j’ai dû quitter mon salon pour signer un recommandé. Et en remontant, LE choc : une forte odeur de cacao avait envahi mon salon, impressionnant, du coup, je n’ai rien noté. Cette odeur "brute" m’a fait penser à une autre, encore à Vienne, celle du contenu de la boîte de cacao achetée chez Sacher, un autre lieu mythique de cette ville qui respire l’Histoire. Elle est malheureusement vide depuis longtemps mais elle contiendra dorénavant ce fabuleux Jukro. Je me prépare à la 6e infusion (1'30'') quand un autre bruit me dérange, c'est un clackson. Je regarde par la fenêtre vu le temps, il neige et cette petite avenue n'est pas dégagée. Et qu’elle n’est pas ma surprise devant le spectacle : 2 combi de Politie. Mais aussi un camion de la Gemeente Hoeilaert, arrêtés devant la propriété. Cinq personnes en sortent mais une seule "travaille": elle place 3 cônes pour barrer la route, pourquoi ? Je ne veux pas le savoir mais un tel déploiement pour placer 3 cônes me laisse songeuse… d’autant qu’ils sont tous rentrés dans les voitures laissant l’unique femme dehors… c’est vrai qu’elle travaille. Est-ce la conséquence de ce qui précède, mais cette infusion-ci me fait passer du sucré au salé et très curieusement c’est une odeur de pleurote qui se dégage à présent de l’infusion. Je remplis à nouveau la tasse à sentir mais je ne retrouve qu’une lointaine note sucrée. Les 7e, 8e et 9e infusions (2’, 2’30 et 3’) me laissent perplexe : la liqueur me parait plus classique, presque banale voire même fade comparé à ce qui précède. Les feuilles ont-elles tout donné ? Je décide cependant d’aller jusqu’au bout, la 10e infusion (5’) redonne un peu de vie à ce nectar qui maintenant me fait penser à un grand Qimen et dans la tasse à sentir je retrouve l’odeur du chocolat, je ne suis donc pas au bout de mes surprises. La 11e infusion dure 10 minutes, ce qui me permet d’avoir une pensée pour ces cueilleuses coréennes aux doigts de fée, pour ceux aussi qui ont transformé ces trésors verts en liqueur "jaune" (je crois me souvenir que Matt qualifie de jaune ce Jukro). Quoi qu’il en soit, face à cette merveille deux mots me viennent : Admiration et Respect ! Cette infusion ne dégage plus aucune odeur, par contre même si la vigueur de ce thé s’atténue fortement, je perçois maintenant un goût particulier qui ne m’évoque rien et dans la tasse à sentir une odeur bizarre que je ne parviens pas à identifier, je connais cette odeur pourtant mais ma pauvre mémoire gustative déficiente ne me permet pas de lui donner un nom. 15’ est la durée de cette dernière infusion ! J’ai le temps de penser aux 3 théophiles grâce à qui je vis ces moments presque indicibles, j’ai bu à leur santé, ma façon de leur dire mon merci. Je note aussi quelques réflexions sur ma feuille de moins en moins blanche, j’ai hâte de lire leurs commentaires. C’est un thé à peine tiède qui s’offre à moi, 15 minutes c’est long pour garder l’eau à température et pourtant ma petite théière est vraiment très chaude. Je retrouve ici aussi cette odeur connue et le seul mot qui me vient est "bizarre", saugrenu même, mais pourquoi ??? L’infusion est devenue presque insipide mais mon palais est tellement imprégné que ce n’est pas grave. Je sors les feuilles infusées pour la traditionnelle comparaison, quelle différence entre la modestie des feuilles séchées, et leur épanouissement après ces 12 infusions. Mais je les remets très vite dans le ventre de la théière où elle seront arrosées une dernière fois avant de reposer toute la nuit à l’abri, je suis curieuse de voir ce que cela donnera demain parce que, même si le thé a évolué, j’ai été frappée par le peu de changement de couleur, passée de l’acajou au jaune orangé, pas grande différence ! Je parcours maintenant les commentaires des 3 démons tentateurs qui m’ont conduite à une telle jouissance ce lundi 2.02. 2009. Et, grâce à Soïwater, je mets enfin un mot sur cette "odeur bizarre" c’est celle de la CIRE ! Je comprends maintenant pourquoi le mot saugrenu m’est venu. Je vais les citer ici, j’ai extrait 3 phrases qui m’ont particulièrement frappée mais il faut tout lire évidemment, c’est si bien dit !
Alain : "Bien au-delà de toutes mes espérances… LE meilleur thé noir que j’ai bu à des millions d’années-lumière devant tous les autres et me laissant une impression de plénitude au moins égale à mes meilleurs rochers… Ce thé est un must".
Matt : "Let’s warm our hands upon the hot air of the brazier and sit down for Jookro’s yellow tea (…) Ans as we finish our last sips from the liquor of spend leaves, in silence we give thanks". Ah si je parlais correctement l’anglais je lui écrirais pour le remercier de ce que son site et l’ambiance si poétique que crée ses superbes photos m’apportent (et encore je ne comprends pas tout), mais je resterai une admiratrice émerveillée mais silencieuse.
Et enfin Soïwater : "C’est tout simplement un thé exceptionnel, d’une puissance aromatique comme je n’en ai jamais rencontrée, sans aucune mesure, une chaleur extrême, réconfortante, de la gourmandise à l’état pur… Une merveille…".
Mais qu’il soit noir, rouge ou jaune, je rebaptise ce thé : il s’appellera désormais ALMATSOÏ… Merci à vous trois pour ces "moments d’éternithé". Et voilà, le Jukro est dans sa boite, je l'ai cependant laissé dans son emballage d'origine. Et je termine ici ce billet, j’ai encore dans la bouche cet arrière-goût chocolaté alors que cela fait maintenant des heures que j’ai quitté mon salon bleu-thé. Mais alors que d’habitude les émotions m’excitent, j’éprouve comme un contrecoup, la griserie a fait place à une grande lassitude, comme l’impression d’avoir vécu des mois en quelques heures sans m’être reposée. Mais cette "fatigue" est loin d’être pesante, elle me donne plutôt la sensation d’être très légère, prête à m’envoler vers ce paradis rejoindre Lu Yu ou Lu Tung… pour un court moment bien sûr, j'ai encore tellement à faire sur cette terre. J'ai un peu la tête qui tourne, je n'ai encore rien mangé aujourd'hui mais je n'ai aucune envie de nourriture terrestre, même pas de crêpes en ce jour de la Chandeleur...
Faire connaissance
-
Lorsque l’on observe la feuille sèche, on apprend quelque chose du thé : sa
teneur en bourgeons, la taille et la couleur de la feuille, son degré
d’oxydati...
Il y a 6 jours
7 commentaires:
Dommage, je rêvais de crèpes aujourd'hui et, bizarre, je ne me souvenais même pas de la date.J'ai salivé toute la journée mais maintenant je sais pourquoi. Ton thé a l'air fabuleux. Pourquoi n'en as-tu pas proposé aux policiers ?
Es-tu certaine qu'il n'y a que ta cheville qui a été atteinte?
-Un vraiment très joli article.Je suis très heureux de voir que ce thé t'as,toi aussi,ensorcellée...
je pense que ton thé du lendemain peut te réserver quelques surprises...ou pas...
Magie de ce thé sorcier qui nous fait sentir toute la puissance de la nature...au primtemps lorsque je prends un très bon thé dans la veranda,j'ai parfois l'impression d'entendre et de sentir les feuilles des arbres poussées...
Un superbe moment de dégustation... je me laisserais bien tentée.
Oui il y a de ces tentateurs dans la bloggosphère spécialisée!
@ Alain, c'est grâce à toi et à ta fich de dégustation si précise que j'ai pu en jouir à ce point, merci encore
@ Vanessa, n'attends pas, fonce, tu seras toi aussi transportée!
Très beau billet! Ah! ce Jukro, il n'a pas son pareil pour réveiller des souvenirs anciens et pour réchauffer un moment enneigé!
L'ivresse du thé c'est quelque chose que je connais bien, certains oolongs nous transportent vers dés sommets inégalés de plénitude béate. C'est la magie de certains Gong Fu Cha où l'on se laisse totalement envahir par le breuvage et on se retrouve comme dans un état second.
Chimiquement ça s'explique, et dans les faits, c'est étonnant. Les pires ivresses de thé, je les ai connues à mon travail, buvant des ichibancha (primeurs japonnais) à même la tasse où les feuilles infusent encore. A n'en plus pouvoir me lever... Une petite molécule est responsable entre autre de ces états, la théanine, un psychotrope que contient ces feuilles de thé. Alors imagine l'effet qu'elle peut avoir lors d'un Gong Fu Cha...
Merci Laurent-la-Science pour cette explication claire et imparable concernant mon état d'ébriété... Et donc vive les psychotropes!...
Enregistrer un commentaire