Ce matin, malgré un superbe temps je dois me rendre en ville pour récupérer mes lunettes solaires.
Mais pour commencer je m’occupe du bouquet que vient de m’amener mon mari, c’est la première pivoine arborescente qui illumine les bleuets.
Puis un thé pour me donner le courage de quitter le paradis. Et un peu de lecture. J’aime ce livre pour plusieurs raisons, son titre d’abord puis son contenu, original : une cinquantaine d’extraits d’auteurs qui parle de leur histoire avec le thé précédés et suivis de commentaires de l’auteure du livre. Et chose non négligeable, le format qui permet de l’emmener n’importe où. Puis en route pour Bruxelles, la rue Royale et la maison Bodart… fermée le samedi ! S’il existait un championnat du monde de distraction, je serais sur le podium parce que le comble est que je le savais mais je l’avais oublié. Moitié riant moitié râlant je reprends ma voiture et je me mets à chanter à tue-tête :
"J’étouffe dans la ville et je m’y meurs d’ennui car tout me semble gris ; les rues me sont hostiles, les toits cachent le soleil, ah rendez-moi mon ciel", une vieille chanson guide… il ne me manque que ma guitare ! Quand je vous disais que le soleil tape… C’est hilare que j’arrive chez Cha Yuan où j’ai rendez-vous avec mon mari.
J’y suis trop tôt mais j’ai de quoi m’occuper en sirotant un Matcha glacé au lait de soja cette fois. Je reprends donc ma lecture.
Mais je suis distraite par Sanmao qui parle à une cliente avec passion d’un
Anji Bai Cha tout jeune, j’en ai l’eau à la bouche…
Je me laisse donc tenter par ces jolies feuilles qui dégagent un parfum subtil très doux.
Je le retrouve dans la première infusion, et me voilà en pensée dans le Zhejiang, dans ce jardin parmi les cueilleuses aux doigts si habiles.
Deuxième infusion, les feuilles sont un peu plus ouvertes et toujours ce même parfum et cette saveur sans aucune astreingence.
Les infusions se succèdent, de plus en plus douces, je reprends mon livre et je l’ouvre au hasard.
La page 65 contient un extrait de
"L’Inespérée" de Christian Bobin. Je ne l’ai pas lu mais en voyant le nom de l’auteur, un visage s’impose à moi, celui de mon ami Guy, qui nous a quittés beaucoup trop tôt. C’est lui qui m’avait fait connaître Christian Bobin en m’offrant
"Le Très-Bas", qui fut pendant longtemps un de mes livres de chevet. Guy fait partie de ces grands Absents qui ont illuminé le chemin de tous ceux qui ont eu la chance de le connaître, et j’ai eu cette grande chance, il reste très présent en moi. Ce petit moment de douce nostalgie passé, je reprends la lecture de
"Le thé le plus éthéré du monde". Je ne résiste pas au plaisir de partager l'émotion ressentie à la lecture de cet extrait :
"La parole est derrière une table, sur une estrade. Vous êtes assis avec les autres sur les gradins de l’amphithéâtre et la parole monte vers vous, le parfum de la parole savante, les volutes de la parole grise. (…) Longtemps vous n’avez pu fuir ce genre de punition, car cela faisait partie de votre travail. Ce travail a duré dix ans et plusieurs fois par année vous aviez rendez-vous avec la parole migraineuse. Deux, trois jours autour d’une table ronde, à regarder le ciel par les vitres – un ciel jamais si beau que dans ces heures de pénitence. Une seule fois vous aviez pu déserter. Vous aviez inventé un prétexte et vous aviez passé deux jours délicieux, loin, si loin des mots savants, des voix analphabètes. Ce jour-là des enfants vous avaient convié à un jeu, un repas de poupées. Tout au fond du jardin, ils vous invitaient à partager, à l’étroit dans une cabane de tôle ondulée, un thé sans eau, un thé sans thé, un thé absent versé dans des tasses en plastique sales. Vous aviez répondu à leur invitation et goûté lentement le thé invisible, accompagnant votre dégustation de commentaires, dans le temps où, à quelques centaines de mètres de là, le colloque s’enfonçait dans la nuit et la mort – un repas d’ombres autour d’une table d’ombre".
Je referme le livre, émue encore par les beaux souvenirs qu’il a fait émerger. C’est presque machinalement que je plonge mes lèvres dans le zhong, ce que je bois n’est plus du thé, il a tout donné mais il me reste en bouche une douceur, celle du souvenir. J'ai moi aussi mon "thé éthéré"...
Mon mari arrive enfin, en s'excusant mille fois de son heure de retard, mais je ne m’en suis pas aperçue pour une fois d’où mon calme qui le surprend. Je ne l'ai pas habitué à cela... Il prend un menu classique mais moi je choisis des soba(s ?), ces pâtes japonaises au
Matcha, servies froides avec cette petite sauce aux saveurs subtiles.
Nous prenons par contre le même dessert, une glace au sésame… Une "tuerie" que j’aimerais reproduire. Nous nous quittons ici, il reste en ville chez des amis. Moi j’ai hâte de rentrer maintenant, j’ai besoin de retrouver mes marques.
Au passage, j’admire ce petit rhodo encore en bouton, assez malingre, il va seulement s’ouvrir parmi d’autres plus opulents mais fanés. Encore une belle journée, riche en émotions…
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