A propos de ce livre...
Comme
je l'ai signalé dans le billet précédent, la lecture de ce livre a
fait renaître en moi un malaise profond que je croyais dépassé. Je
veux comprendre pour supprimer à jamais ces sentiments négatifs si
éloignés de la fascination que j'ai actuellement pour le Pays du
Soleil levant. Mais avant cela, mes rituels :
admirer cette
Nature en pleine renaissance,
préparer les ustensiles et faire
chauffer l'eau tout en faisant appel à mes souvenirs. Le premier,
c'était chez ... les guides. Une des activités que j'affectionnais
particulièrement était la réalisation de jardins japonais dans un
couvercle de boîte à chaussures selon les règles de ces jardins
particuliers : il devait comporter des graviers, un point d'eau,
des rochers, de la mousse et quelques plantes et taches de couleur.
Tout devait être de la "récupération", pas question
de cueillir quoi que ce soit, le respect de la nature nous était
inculqué. A nous de chercher et de faire travailler notre
imagination ! Pour les graviers et les montagnes, c'était
facile. Pour le point d'eau, aussi : soit un morceau de verre,
soit une coquille de noix ou une bogue remplies d'eau. Pour les
taches de couleur, une pelure d'orange, de petites fleurs, genre
bouton d'or ou petites feuilles colorée en automne. Pour figurer les
arbres, des branchages et la pelouse de la mousse. Moi qui à
l'époque ne supportais pas de rester assise très longtemps, je
pouvais y passer des heures ! Je ne me souviens pas avoir lu
quoi que ce soit sur ce pays, ni aucun roman qui l'avait pour cadre.
Hergé y faisait allusion dans Le
lotus bleu
mais ce qu'il en disait, dessin à l'appui, ne m'avait pas attirée.
J'étais fascinée par la Chine grâce aux romans de Pearl Buck que
je lisais et relisais en rêvant de découvrir un jour ce pays.
En posant délicatement cette poudre dans le chawan à l'aide de mon
tout simple shashaku, je pense à un passage du livre qui montre la
recherche quasi obsessionnelle du beau dans chaque objet: « (...)
Yoshirô (un
des noms du futur Rikyu) taillait
une cuiller à thé dans sa chambre. Le plus délicat dans cette
tâche était le positionnement du noeud de bambou. Sans un noeud,
une cuiller paraissait trop simple, sans caractère. Trop proche du
cuilleron, il gênait, et au contraire trop près de l'extrémité du
manche, cela manquait de naturel.
Et je caresse quasi amoureusement ce merveilleux bol qui me donne la
chair de poule en imaginant les mains de l'artiste qui l'a réalisé
et lui a donné une âme, et en me souvenant avec émotion de celui
qui me l'a si généreusement offert.
Je savoure à présent ce
breuvage dont je ne peux plus me passer aujourd'hui en pensant à ma
première rencontre avec le Matcha :
http://la-theiere-nomade.blogspot.be/2008/05/mon-premier-cha-no-yu.html.
Heureusement que je me suis pas arrêtée à cette première
impression gustative. Par contre, je n'arrivais toujours pas à me
débarrasser des interrogations à propos de ce pays tout en
contrastes. Et ce n'est pas ce qui suit qui me feraient changer
d'avis. Je ne sais plus trop si c'est avant ou après ma visite au
Musée Cernuschi qu'a eu lieu Europalia Japon en Belgique. J'ai peu
de souvenirs des expositions visitées, par contre mon mari et moi
avons beaucoup apprécié le théâtre No et surtout le concert de
koto, une longue cithare de près de 2 mètres dont les sonorités
m'avaient fait penser à une harpe. Cela c'est pour le côté
positif. Parallèlement à cela, il y eut des reportages (à la RTBF
si je me souviens bien). Notamment sur le système scolaire qui
m'intéressait particulièrement, celui qui m'a montré un visage
atroce de ce pays et m'a dégoûtée pour longtemps était un
reportage sur la manière de faire en sorte que les enfants de
première primaire restent concentrés sur leur travail. Tous les
petits avaient un bandeau sur le front, comme un serre-tête.
L'inventeur de cet "outil pédagogique" était de plus
en plus excité en parlant de son "œuvre" : il
s'agissait en fait d'un système électrique qui envoyait une
décharge chaque fois qu'un bambin faisait mine de s'endormir !
Ce bourreau semblait jouir de son invention qui "un
franc succès", j'étais dans un état d'écœurement total.
Des années plus tard, j'ai supervisé le stage d'une étudiante
belgo-japonaise à l'école japonaise de Bruxelles, j'ai été très
impressionnée par l'accueil très déférent du Directeur, ainsi que
le thé offert à mon arrivée. Plus encore par l'accueil de
l'institutrice qui avait accepté une stagiaire, chose pas
habituelle. Elle reste avec les enfants du matin jusqu'à 16 heures,
repas compris. Ce sont les enfants qui s'occupent du rangement et du
nettoyage de leur classe. Aucun instrument suspect mais beaucoup de
matériel didactique adapté et des enfants vraiment heureux
d'apprendre. Heureuse de découvrir cela. Mais j'ai également
supervisé son mémoire qui traitait de la comparaison entre les 2
systèmes scolaires au niveau primaire. Un des chapitres traitait de
l'extrême compétition prônée par les écoles et l'exigence des
parents qui payaient fort cher des cours particuliers, ce qui
entrainaient des suicides d'enfants. Je lui ai alors dit de se limiter
à l'école primaire et sa réponse m'a soufflée, elle parlait bien
de l'enseignement fondamental... Cela, c'est pour le côté sombre,
très sombre. Encore ce contraste incompréhensible, comme une
schizophrénie que je ne parvenais pas à comprendre. Je me suis
petit à petit convertie à ces thés si particuliers qui font partie
aujourd'hui quasi de mon quotidien.
Promenade apéritive pour
admirer ces petites azalées fuchsias.
Mais pas que ! Ce
parterre change à vue d'oeil mais les plantes ont soif, il n'a pas
assez plu encore.
Et les voilà qui commencent à s'épanouir
enfin, cela s'annonce bien, ont compris qu'elles ne peuvent pas décevoir mes invités du 17 prochain (=
message codé!)
J'aime cette pelouse laissée à l'état sauvage,
je la laisserais bien ainsi mais je ne suis pas la seule à décider.
Un repas vite fait, mon mari sort avec un ami, je suis donc libre cet
après-midi pour me livrer à mon délicieux "vice". Mais le
destin en a décidé autrement, au téléphone ma copine Liliane en
larmes, sa voiture a été emboutie sur un parking, avec délit de
fuite ! Il y a 2 mois, on la lui volait, celle-ci était donc
neuve. J'étais furieuse d'apprendre cela d'autant que ces vandales ne seront certainement pas retrouvés. Je suis allée avec elle faire les démarches administratives
puis nous sommes revenues ici. Liliane ne boit ni thé ni café
d'ailleurs, seulement des tisanes, elle a choisi des fleurs
de camomille
de ThéÔdor
qu'elle a trouvées particulièrement bonnes, meilleures que celles
de son herboriste je ne sais trop pourquoi je ne suis pas étonnée...
Il ne me reste plus assez de temps pour repartir au Japon, ce sera
pour le mois prochain parce que demain, je passerai la journée à
Paris... en pensées seulement,
Ce soir pour me consoler (ou
pour me faire saliver) je lirai le dossier de presse.
Mais
d'abord, un thé du soir, Thé
des nuages,
un thé blanc népalais de Neo-T.
Infusé dans cette toute simple théière de là-bas, dénichée à
l'époque chez Cha-Hû-Thé
à
Louvain-la-Neuve. Terre cuite émaillée de vert à l'intérieur.
Emotion en portant le bol à mes lèvres, que sont devenues les
cueilleuses et les fermiers ? Depuis 4 jours, nous parviennent
des images terrifiantes de Katmandu mais les campagnes sont encore
inaccessibles. En faisant chanter le bol, cadeau de ma jeune sœur,
grande voyageuse et sportive qui me l'a ramené d'un de ses treks, je
me sens si impuissante, que peut-on faire à part faire un don ?
Dehors, le vent s'est levé, la Belle de la Nuit
fait son apparition,
le ciel est chargé, on annonce de la pluie
cette nuit. C'est très bien, je n'ai pas pu arroser les plantes,
elles ont soif.
C'est à la lumière d'une bougie que j'achève
mon thé en pensant très fort à ce peuple martyr, j'ai encore
devant moi le visage de 2 enfants terrifiés se blotissant contre
leur mère. Pas besoin de connaître leur langue pour comprendre leur
détresse absolue, leurs yeux suffisaient.
Un dernier regard sur
les feuilles, une dernière interrogation : les plantations
ont-elles résisté ?
3 commentaires:
Coucou, MERCI encore pour tes billets qui me font voyager en pensées. Et cette fois, merci d'avoir fait ressurgir en moi de beaux souvenirs avec les jardins japonais des guides.. Je pense fort a toi. Bon thé et gros gros Bizouille . Mich
Bonjour Francine,
"Je veux comprendre pour supprimer à jamais ces sentiments négatifs si éloignés de la fascination que j'ai actuellement pour le Pays du Soleil levant"
je ne prétends pas tout savoir, loin de moi cette idée, et c'est assez dur à résumer en quelques mots, mais voici peut être quelques pistes de réflexion ( face peut être aussi à des questions que je me suis posées à un moment ):
- un roman, même historique, n'est pas l'Histoire, mais est une histoire, ce qui ramène au problème de l'image d'un Japon généralement fantasmé qui n'a jamais existé, quelle que soit l'époque ...
- il faut replacer les évènements dans leur contexte : à l'époque de Rikyu, en europe, on crée des Majolique ... mais on interroge les suspects au moyen de l'estrapade et le moyen d'exécution le plus répandu est la roue
- pour Sen No Rikyu, il ne faut pas oublier que c'est avant tout un samouraï ... le seppuku est un moyen de garder son honneur intact : on montre que si l'on choisi la mort, ce n'est pas par peur de la douleur
- et surtout, l'on ne peut appréhender les cultures asiatiques ( et encore moins la culture japonaise ) sur la base de nos valeurs occidentales tout simplement car les fondements mêmes sont différents ( en premier lieu, l'individu et le groupe n'y ont tout simplement pas la même place )
Bon thés à toi !
@ Mich.: MERCI pour ton gentil message! Moi aussi je pense souvent à toi et j'ai vraiment envie de te revoir aussi, quand je pourrai à nouveau laisser Xavier seul, je viendrai te voir soit chez toi, soit à Magie du thé. Concernant les jardins japonais, je n'avais plus pensé à cette activité jusqu'à la lecture de ce livre et ce qu'il a entrainé comme questionnement. Bonne fin de soirée, bons thés, biz
@ Tsubo: tout d'abord merci pour ton commentaire très précis, très inspirant pour moi. J'ai certainement été peu claire dans mes propos mais sache que je ne confonds pas histoire et roman. Loin de moi aussi l'idée de comprendre la culture japonaise à l'aune de la culture occidentale. Mais qu'un homme quel que soit son statut s'arroge le droit de vie et de mort sur un autre, j'ai du mal. Surtout (et pour faire court) en lien avec cette boisson mythique, où l'ego n'a pas sa place. Je ne suis pas naïve non plus, il n'y en a pas un tout blanc et l'autre tout noir... J'en profite pour te dire tout le bien que je pense de ton blog que je suis régulièrement. Bonne fin de soirée, bons thés et au plaisir de te lire encore
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