Il est 11h15 ce vendredi. Me voilà confortablement installée dans le TGV, direction Lyon Part-Dieu où je serai à 15h01 sur le billet, en tout cas. C’est avec joie que je quitte ce plat pays, son ciel à nouveau bas et si gris.
Je vais commencer la re-re-relecture de ce livre qui me fait voyager dans l’espace et dans le temps. J’ai évidemment oublié mon Thermos, je passerai donc la journée sans thé et devrai me contenter de ma bouteille d’eau, mais ne dit-on pas que l’eau est la mère du thé? Une partie du chapitre III : L’art du thé chinois, lui est consacrée, elle s’intitule A propos de l’eau, on ne peut pas être plus explicite. Tous les spécialistes de l’époque s’accordent pour dire que la préparation du thé exige une eau de bonne qualité, et cette exigence va très loin :
"Sous les Qing, Zhang Dafu accordait même plus d’importance à l’eau qu’au thé, considérant que pour préparer une tasse de thé parfumé, l’eau était un facteur plus important que le thé. D’après lui, quand vous avez une espèce de bon thé mais que vous trouvez son goût banal, la raison principale réside en ce que l’eau utilisée n’est pas bonne". J’ai eu un fou rire quand j’ai lu que
"le meilleur moment pour puiser l’eau est à minuit". La phrase suivante m’a fait rêver :
"Certains utilisent l’eau de la neige à peine fondue, ou de la rosée, ou de la pluie fine. Pour recueillir l’eau de pluie, on met un récipient en plein air, sans laisser la pluie tomber à terre, ce qu’on appelle "l’eau sans racine"." C’était à une époque où le mot pollution ne figurait pas encore dans le dictionnaire… qui d’ailleurs n’avait pas encore vu le jour. J’arrête ici ma lecture, le train me berce doucement et j’admire le paysage ensoleillé maintenant en repensant à tous ces moments forts passés à
l’Institut du Thé.
Arrivée à l’heure à Lyon Part-Dieu, j’ai le temps d’aller acheter mon billet pour la suite du voyage. Beaucoup de bus ont été supprimés, je vais donc prendre un 3e train jusqu’à Lozanne puis un bus jusqu’à Lamure où m’attendra Nadia, obligée de jouer taxi. C’est vrai que c’est très long 8 heures, mais en regard de ce que j’ai vécu ici, cela les valait bien ! C’est avec bonheur et émotion que je retrouve ma Maître de Thé. Nadia est quelqu’un qui a vraiment marqué ma vie et pas qu’avec des paroles. Rencontrer une personne de son envergure et faire un bout de chemin avec elle laisse des traces indélébiles ; même si je le lui ai déjà dit (elle déteste cela…), mes pauvres mots ne sont pas assez forts pour traduire cela.
Nous partageons ce thé d’accueil sur le terrasse ensoleillée et même vraiment chaude.
Infusion après infusion, je pense à tout ce que cette "formation" m’a apporté et que j’ai plaisir à partager ici.
Générosité de ces feuilles de
Tie Kwan Yin qui n’ont pas tout donné encore. Je continue seule, Nadia doit maintenant aller chercher Carine à la gare, le bus pour Poule a été supprimé… Sauf qu’il est arrivé quand même en même temps qu’elle !
Le souper est à la fois joyeux et sérieux, nous avons plaisir à nous retrouver et j’écoute attentivement ce qui est dit : Carine parle et écrit le chinois et est en train de traduire des contes en français.
Je fais bientôt la connaissance d’Eric, encore des choses passionnantes s’échangent.
Notamment l’histoire de ce Suisse, une spécialité de Valence.
Après une nuit réparatrice, je découvre ces paysages enchanteurs.
Une bande de brouillard s’est posée sur ces moyennes montagnes.
J’imagine que c’est cela qu’on peut admirer dans les Huang Shan entre autres.
Difficile de détacher mon regard de cette féérie.
Il faut cependant revenir sur terre. Nadia prépare un thé d’accueil pour mes compagnons que j’ai hâte de retrouver, cela fait si longtemps… Nous montons au temple pour une heure de méditation suivie d’un enseignement à propos de cette cérémonie Chan que j’attends avec impatience : Josiane, qui a eu la chance de la vivre pour son anniversaire, m’en a parlé avec tant d’enthousiasme ! Nadia retrace d’abord l’historique du bouddhisme et son introduction difficile en Chine, pour être aujourd’hui cette philosophie si riche même si pour nous occidentaux très (trop) cartésiens, elle n’est pas d’accès facile. Puis elle nous parle de cette cérémonie particulière qu’elle nous présente comme une méditation en mouvement. Méditation en mouvement, ces mots me parlent vraiment, j’ai du mal à méditer sans support et les cérémonies sont pour moi des supports. Nous apprenons que cette cérémonie-ci n’a pas pour objet de mettre, comme les autres, un grand thé en valeur. Et avant quitter le temple, elle nous a offert cette cérémonie. Ce qui s’est passé après est réellement indicible, cela nous a remués jusqu’au fond de l’âme, j’en ai pleuré et je n’étais pas la seule… Ces gestes simples de méditation mais si parlants avant de commencer la cérémonie proprement dite, le tout accompagné de cette musique impressionnante, des mantras, ces paroles sacrées en sanscrit qui donnent un rythme aux gestes et qui participent à créer ces moments intenses de sérénité et de paix. Nous ne la regardions pas faire comme dans un spectacle, nous étions en communion avec elle, une communion spirituelle qui nous faisait vivre intensément le présent. Et cette pensée forte qui m’a traversé l’esprit : si je devais mourir maintenant, je mourrais heureuse, j’ai touché ici le Nirvana… C’était fort et intense. Bizarre, je pense rarement à la mort mais n’en ai pas peur, c’est pour moi la dernière grande aventure, ce saut vers l’inconnu mystérieux : néant ou infini ? J’aime assez l’idée d’avoir plusieurs vies, mais est-ce mon destin ? Je ne crois ni au paradis ni à l’enfer, et donc je préfère vivre le plus intensément possible dans cette vie-ci avant de redevenir une poussière d’étoile… Vint ensuite le temps de midi pour digérer cela. Le soleil a accompagné notre repas, et un thé partagé ensuite avant de retourner à la maison de thé.
Je suis tellement heureuse de retrouver mes compagnons du thé, Jean-Pierre et Josiane, Myriam, Jocelyne, Carine, Eric et Sylvie.
Et tout en devisant joyeusement, je pense à cette phrase du petit livre rouge de Nadia :
"Les gens du thé sont une même famille, si bien illustrée , c’est vraiment ce que nous vivons chaque fois que nous nous retrouvons ici ! Nous voilà maintenant à la maison de thé, prêts à être initiés à cette cérémonie. Il ne sera question ici que de décrire le matériel utilisé, les gestes de méditation font partie de l’intime, ils se vivent mais ne se décrivent pas, même si pour certains d’entre nous, comme Jean-Pierre et moi par exemple, aurions aimé les filmer pour nous en imprégner… Nous nous faisons vite rappeler que le souci de bien faire vient de notre ego, et celui-ci doit se faire oublier, voire disparaître, tout un fastidieux programme…
Tout d’abord, le rituel de l’encens et sa gestuelle, magnifique et très prenant.
Quant au matériel, il doit être simple, rien qui pourrait distraire de la méditation. Il se compose d’un panier avec anse, un bateau à thé, une théière d’un litre, une serviette à thé, 4 tasses posées dans le panier, une boite à thé, une mousseline, un lien jaune et une coupelle pour les déposer.
Quelques tours de main à maîtriser : l’utilisation de la mousseline, une simple gaze.
Mais aussi le tour de main pour y déposer le thé, ici du
Bai Mu DanEt aussi comment rincer les 4 bols.
Et enfin comment tenir la théière pour verser le thé.
Le matériel est disposé correctement sur le plateau, la théière et le thermos par terre à droite et le panier contenant les bols à gauche.
A nous de faire maintenant. Concentration ou méditation…
Les deux certainement. Il règne dans la pièce, une atmosphère de détente et d’intense concentration très en phase avec cette cérémonie.
Dernier geste qui illustre bien ce que nous vivons, tout est intériorisé, tout s’est fait en silence, mais un silence qui "parle", qui nous comble. A tel point que je ne veux pas troubler ce recueillement en me déplaçant pour faire les photos. Voilà ce que nous avons vécu durant cette journée qui a fait l’unanimité au niveau du ressenti, tout était si profond, si vrai, si beau.
Nous repartirons avec la gaze et ce ruban jaune, qui aux USA est arboré par ceux qui attendent le retour d’un être cher… nous, ce sera de nous revoir!
Il est bientôt temps de nous séparer, Nadia nous offre un dernier thé avant qu’on se quitte, un grand
Cassia qui parfume la pièce, et une émotion gustative forte qui s’ajoute à celle ressentie depuis ce matin.
Le soleil commence à décliner, une légère brume vient se poser sur la forêt, que la nature est belle ! Me voici maintenant seule physiquement dans cette maison de thé, mais je sens encore la présence de mes chers compagnons du thé. Merci à vous d’être ce que vous êtes, avec votre sens du partage, de l’écoute, vos regards et vos sourires. Vous serez dans mes pensées quand je m’exercerai à la pratique de cette cérémonie Chan qui arrivait vraiment à un bon moment dans notre voie du thé… A très vite.
Un dernier regard à ce paysage et il est temps de quitter ce havre de paix et notre chère Maître de Thé pour refaire la route en sens inverse.
5 commentaires:
Francine, cette cérémonie a-t-elle un lien avec celle des Compagnons du thé?
http://www.admirable-tea.com/ceremonie_compagnon_the_raja.htm
Kris
Même si la philosophie générale est à peu près la même, je ne pense pas qu'elles soient vraiment pareilles. La cérémonie Chan est intimement liée au bouddhisme et est pratiquée dans les temples, mais je me renseignerai pour t'apporter une réponse plus précise, j'y retourne en juin, j'espère que tu pourras attendre jusque là.... J'emploie l'expression "Compagnons du thé" peut-être à tort si celle-ci est reliée à RAJA, à creuser aussi
J'avais bien noté la minuscule de tes compagnons, j'ai posé la question pour dissiper les doutes nés des similitudes.
Pour ce qui est de l'eau sans racine, c'est bien ainsi que j'ai fait mes cueillettes expérimentales en 2000 ou 2001: pluies et neiges. Les différences avec l'eau du robinet étaient importantes, de moins en moins positives.
Kris
Oh là là superbe cérémonie. J'aime beaucoup, tout: cette méditation d'une heure (même si comme toi je n'y arrive qu'avec support, et encore pas une heure), cette manière de mettre en mousseline et ce geste du bol à rincer que j'avais déjà rencontré dans les livres sur le zen bouddhiste.
Je comprends tout à fait tes paroles: tu as une chance folle d'avoir cette Maitre de thé.
Très très beau moment et très beau partage, merci
@ Kris: je dis bravo! Même si je n'habite pas en ville, je n'oserais pas me risquer à recueillir l'eau de pluie ou la neige, peur (exagérée peut-être) de la pollution...
@ Vanessa: oh oui, j'ai de la chance de vivre des moments pareils, et ce dernier week-end était particulièrement fort. Inutile de te dire que certaines personnes étaient dans mes pensées pendant cette pratique.
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