Cette Kyushu, je l’avais repérée depuis longtemps à l’Heure bleue mais j’avais jusqu’ici résisté. Joute entre mon cerveau gauche et mon cerveau droit comme chaque fois. Mon gauche (mon surmoi si vous préférez) me disait que je n’avais plus de place, que j’en avais déjà deux. Mon cerveau droit par contre, tel un sympathique diablotin ne vivant que comme son presque jumeau, le "ça", pour la passion, l'irraisonnable, la pulsion, me soufflait avec force : et alors, la belle affaire ! Jamais deux sans trois et avec celle-ci tu as en plus 2 superbes bols au fond irisé dans une couleur que tu aimes. Et mon moi dans tout cela ? Mon moi, qui veut avoir son mot à dire quand même, du moins le croit-il, a décidé que si elle était encore là lors de ma prochaine visite, elle changerait de propriétaire… Et si par hasard un petit sentiment de "culpabilité", dernière offensive du CG, avait pointé, il aurait disparu, perdue la raison, la belle était soldée… Aux dernières nouvelles, elle se plait chez moi et m’a procuré ce matin de profondes émotions gustatives. Il faut dire que je lui avais offert un superbe Gyokuro. Comme chaque fois que je me retire dans ce salon, j’ai envie de créer une ambiance, façon de différer un peu le plaisir d’une dégustation qui, je le sais, m’emmènera dans ce Cha Do que j’aime tant. J’ai donc choisi de parcourir deux des écrits qui évoquent la culture japonaise dont je n’ai pas encore parlé. Le premier, Japon, Saveurs et Sérénité, est le catalogue d’une superbissime exposition (temporaire malheureusement : 14 février-14 mai 1995) sur les objets du thé (en céramique uniquement) dans ce superbe Musée Cernushi. Il a été fermé pour restauration mais je l’ai revisité il y a un an lors de la Nuit des Musées, rien ne restait de ces objets qui m’ont fait vibrer. Je m’offrirai un jour un Raku, c'est certain; je sais exactement ce que je ne veux pas mais pour ce que je veux, le coup de foudre et de cœur n’a pas encore eu lieu... Le bel éventail japonais est pure décoration, il ne m'a pas encore servi cette année. Revenons au Gyokuro : les minuscules feuilles bleu-vert très foncées dégagent un parfum de marée et d’algues (jusqu’à présent c’était l’épinard que je percevais).
J’ai baptisé 3 fois ma nouvelle Kyushu dans une eau à 55° et j’ai retrouvé dans la première infusion, plutôt jaune, la saveur des algues. Pas d'épinard cette fois.
Les deuxième et surtout troisième infusions ont viré vers le vert olive et l’eau s’est légèrement troublée. Pourquoi?, je ne le sais pas. Les feuilles se sont ouvertes et ont pâli, j’y découvre maintenant une bizarre odeur de … cressonnette ! Je suis assez contente d’avoir pu mettre un nom sur ce que je sirote, même si ce n’est pas indispensable pour que mon bonheur soit complet et que j’atteigne ce que les Japonais nomment Satori, l’Eveil. Et ce matin vraiment les deux sont présents, traduits par ces émotions gustatives qui me transportent.
D’autant qu’en parcourant le deuxième fascicule, Le Pavillon de Thé – Architecture et Céramique : L’école Urasenke du Thé au Musée royal de Mariemont je tombe sur 2 citations que je trouve superbes parce qu’elles correspondent exactement à ce que je ressens moi-même, je ne résiste donc pas au plaisir de vous les citer. La première, de Soshitsu Sen, nous dit :
« Je tiens dans les mains un bol de thé :
Toute la nature se retrouve dans sa couleur verte.
Fermant les yeux, je trouve en mon cœur une eau pure et de vertes montagnes.
Assis seul, silencieux, buvant le thé, je sens qu’il devient une part de moi-même ».
Et la suite est belle aussi, même si elle implique d’autres buveurs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
"Partageant ce bol de thé avec les autres, eux-mêmes font un avec lui et la nature.
Que l’on puisse trouver une sérénité intérieure durable en compagnie des autres est le paradoxe de la Voie du Thé".
La deuxième émane du grand Maître du 16e siècle, Sen no Rikyu, elle introduit le chapitre intitulé Architecture du Thé – Espace du Thé :
« En été, donner une impression de grande fraîcheur, en hiver, une sensation de chaleur. Poser les charbons de manière à ce qu’ils chauffent l’eau, préparer le thé de manière à ce qu’il soit bon. Tels sont les secrets », ce qui est une variante de sa célèbre réponse à la question: "Qu’est-ce que le thé"?
« Faire chauffer de l’eau
Y battre de la poudre de thé
Et boire.
Saisir l’essentiel »
Et l’essentiel pour moi ce matin était de vivre intensément l’Instant.
D’essayer de vous le faire partager ensuite.
4 commentaires:
Oui tu as raison, il n'est pas nécessaire de trouver tous les arômes pour profiter du thé... dès qu'il nous emmène quelque part, voir en nous, nous sommes sur la voie. Une bien belle relativisation de tous les concepts "rigoristes".
Je reviens parce que, dans mon commentaire, je voulais te parler des bols raku...et que j'ai oublié. Je m'en offrirai bien un aussi...en attendant je rêve avec des bols japonais et avec des images de pièces uniques http://iam-like-iam.blogspot.com/2007/07/bols-th-de-crmonie-chawan-raku.html
Mission réussie !
Tu racontes avec brio ce que tu ressens et les saveurs de tes thés, ça donne vraiment envie !
On est presque avec toi en train de déguster, merci !
Je possède aussi ce livre de Mariemont où j'ai participé à un atelier thé (on en sort "zen" et humble!).
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