On songe aux vers du poète :
[…] une dame à sa haute fenêtre
Blonde aux yeux noirs en ses habits anciens
Que, dans une autre existence peut-être
J’ai déjà vue et dont je me souviens !
L’héroïne de ce conte n’est pas une blonde châtelaine du Moyen Age, mais une princesse vietnamienne de temps plus anciens. Les âmes romanesques, semblables et différentes sont comme les roses au jardin.
Un soir d’été, My-Nuong, accoudée à la haute croisée, entendit un chant merveilleux, une voix d’homme ample et puissante, et dans le même temps si juste, si harmonieuse, que son cœur fut touché. Elle aperçut dans le lointain un batelier, qui maniait sa gaffe sur la rivière. Le chant lui parvenait maintenant si pur, si musical, si éblouissant, qu’elle frissonna jusqu’aux os. Jour après jour elle prit l’habitude quand le soir tombait, d’écouter la voix du pêcheur. Son cœur de jeune fille sage s’enflamma. Quand l’automne vint, le pêcheur s’en alla. Alors My-Nuong s’alita. Elle maigrissait, perdait sa beauté, s’éteignait comme une chandelle. Son père désespéré appela à son chevet les médecins les plus réputés du royaume. En vain. La belle princesse doucement se mourrait. Un soir, au commencement de l’hiver, la voix fut de retour. La jeune fille, réunissant ses dernière forces, se traîna jusqu’à la croisée. Le pêcheur était sur la rivière, ramassant ses filets. My-Nuong l’écouta avec ravissement. Il revint tous les jours. Elle recouvra progressivement la santé. Mais, fin janvier, la voix se tut à nouveau. Le pêcheur était parti vers d’autres cieux.
Alors My-Nuong tomba malade. Elle refusait de s’alimenter. Elle ne s’intéressait plus ni à la peinture, ni à la poésie, ni à l’art des bouquets, ni même à la musique où elle excellait. Son père, à force d’obstination et de prières, lui arracha son secret. Le seigneur aimait son unique enfant, il fit taire ses préjugés. Il ordonna que l’on cherche dans tout le royaume Le pêcheur à la voix merveilleuse. On le trouva. L’homme se nommait Truong-Chi. Il était âgé, d’une laideur repoussante. Ses mains étaient abîmées par le rude travail quotidien, son dos voûté, son visage ridé, brûlé par le soleil, était presque difforme. Quand My-Nuong le vit, elle fut effrayée. Son amour s’éteignit comme une bougie que l’on souffle. Le chant lui parut moins exaltant. Elle reprit une vie normale, un peu plus triste mais calme. Le pêcheur, à quelques temps de là, mourut. Peu après, les gens du village découvrirent dans la rivière une boule de jade qui émettait un son très pur quand on la tenait dans ses mains. Ils l’apportèrent au seigneur. Celui-ci la fit tailler en forme de tasse de thé. Il offrit ce cadeau à sa fille à l’occasion de son dix-huitième anniversaire. Un après-midi, la princesse My-Nuong buvait son thé et son âme romanesque s’envolait au-delà des murs du palais, quand il lui sembla apercevoir au fond de sa tasse la barque et le pêcheur. Elle crut entendre une voix d’homme ample et puissante, et dans le même temps si juste, si harmonieuse, que son cœur fut touché. Elle comprit alors que ce n’était pas le pêcheur qu’elle avait aimé, mais l’infini de ses rêves. Tout est musique quand le cœur est prêt."
Tout est bien qui finit bien, un timide soleil a refait son apparition mais une question lancinante continue à me tarauder: que faisait cette boite dans cet endroit ? Et surtout comment ai-je pu commettre un pareil acte?