vendredi 30 mai 2008

Un thé très, très, très spécial...

La pluie tombée en abondance et avec fracas toute la nuit a fait place à un chœur très particulier : celui des arbres, des plantes et autres herbes, les mauvaises comprises, et à leur chant d’action de grâce du genre "nous avions soif et tu nous as donné à boire". Et quand les oiseaux s’y sont mis eux aussi, le concert a pris une autre dimension encore. J’avais décidé ce matin de cueillir des pivoines, des petits iris et autres rhododendrons pour fleurir mon salon bleu-thé mais le sol détrempé du jardin m'en a dissuadée. Je vais donc faire le tri dans mes boites vides de thé en prévision de certains achats imminents. Mais ô surprise, j’en ai découvert une qui n’était pas tout à fait vide, elle contenait encore du Tai Ping Hou Kui, un "primeur"... de l’année dernière. A la stupéfaction et à ce trouble certain face à un acte aussi impensable que celui de ranger dans le tiroir des boites vides une qui ne l’était pas ! a succédé la curiosité, j’ai eu envie de le préparer pour voir ce que cela donnerait me disant que si le breuvage ne convenait pas à mes papilles exigeantes, il servirait à arroser mes orchidées… Je voulais lire aussi mais j’étais un peu énervée par cette surprenante découverte, j’ai choisi Les nouveaux contes Zen, de circonstance vu mon état. Déjà l’aspect de ces longues feuilles était très différent : de vert profond, elles étaient devenues dans les tons vert-de-gris avec des nuances jaunâtres. Je reconnaissais encore l’odeur caractéristique de ce thé aimé, mais très atténuée cependant. Etonnant ! Peut-être ce thé mutant réserverait-il quelque surprise ? Il restait 12 grammes, je décide d’infuser le tout dans une grande théière transparente, qui pourrait servir d’arrosoir plus facilement qu’un zhong au cas où... 3 minutes plus tard, je goûte ce breuvage couleur huile d’olive… aucun goût.

Je pousse encore l’infusion pendant 2 minutes et là, surprise, un thé inconnu mais très surprenant s’offre à moi, la couleur et le goût avaient viré, ce que j’ai bu ne ressemblait à rien de connu mais a très heureusement surpris mon palais pourtant sur ses gardes. Vous le savez, j’ai du mal à mettre des mots sur les saveurs mais ici, c’était évident, ce thé avait un goût très prononcé … d’artichaut. J’ai donc décidé de l’honorer en racontant son histoire ici. Je regrette maintenant de ne pas avoir fait de photos du début de l’expérience mais je ne m’imaginais pas que l’aventure finirait aussi bien.

J’ai donc relu Les Nouveaux Contes Zen (Henri Brunel aux Editions Librio, 2003) et j’ai envie de vous en offrir un intitulé "Une tasse de thé" : "Il était une fois une jeune fille de haute naissance, merveilleusement belle. Son père resté veuf l’élevait selon son rang. Elle ne quittait jamais les jardins du palais. Elle étudiait le dessin, la peinture, la poésie, l’art des bouquets, pratiquait la musique où elle excellait. Son cœur était neuf, et son âme sensible. Parfois, au fil de ses rêves, elle contemplait par sa croisée la rivière, en contrebas, qui baignait le vaste domaine.
On songe aux vers du poète :
[…] une dame à sa haute fenêtre
Blonde aux yeux noirs en ses habits anciens
Que, dans une autre existence peut-être
J’ai déjà vue et dont je me souviens !

L’héroïne de ce conte n’est pas une blonde châtelaine du Moyen Age, mais une princesse vietnamienne de temps plus anciens. Les âmes romanesques, semblables et différentes sont comme les roses au jardin.

Un soir d’été, My-Nuong, accoudée à la haute croisée, entendit un chant merveilleux, une voix d’homme ample et puissante, et dans le même temps si juste, si harmonieuse, que son cœur fut touché. Elle aperçut dans le lointain un batelier, qui maniait sa gaffe sur la rivière. Le chant lui parvenait maintenant si pur, si musical, si éblouissant, qu’elle frissonna jusqu’aux os. Jour après jour elle prit l’habitude quand le soir tombait, d’écouter la voix du pêcheur. Son cœur de jeune fille sage s’enflamma. Quand l’automne vint, le pêcheur s’en alla. Alors My-Nuong s’alita. Elle maigrissait, perdait sa beauté, s’éteignait comme une chandelle. Son père désespéré appela à son chevet les médecins les plus réputés du royaume. En vain. La belle princesse doucement se mourrait. Un soir, au commencement de l’hiver, la voix fut de retour. La jeune fille, réunissant ses dernière forces, se traîna jusqu’à la croisée. Le pêcheur était sur la rivière, ramassant ses filets. My-Nuong l’écouta avec ravissement. Il revint tous les jours. Elle recouvra progressivement la santé. Mais, fin janvier, la voix se tut à nouveau. Le pêcheur était parti vers d’autres cieux.
Alors My-Nuong tomba malade. Elle refusait de s’alimenter. Elle ne s’intéressait plus ni à la peinture, ni à la poésie, ni à l’art des bouquets, ni même à la musique où elle excellait. Son père, à force d’obstination et de prières, lui arracha son secret. Le seigneur aimait son unique enfant, il fit taire ses préjugés. Il ordonna que l’on cherche dans tout le royaume Le pêcheur à la voix merveilleuse. On le trouva. L’homme se nommait Truong-Chi. Il était âgé, d’une laideur repoussante. Ses mains étaient abîmées par le rude travail quotidien, son dos voûté, son visage ridé, brûlé par le soleil, était presque difforme. Quand My-Nuong le vit, elle fut effrayée. Son amour s’éteignit comme une bougie que l’on souffle. Le chant lui parut moins exaltant. Elle reprit une vie normale, un peu plus triste mais calme. Le pêcheur, à quelques temps de là, mourut. Peu après, les gens du village découvrirent dans la rivière une boule de jade qui émettait un son très pur quand on la tenait dans ses mains. Ils l’apportèrent au seigneur. Celui-ci la fit tailler en forme de tasse de thé. Il offrit ce cadeau à sa fille à l’occasion de son dix-huitième anniversaire. Un après-midi, la princesse My-Nuong buvait son thé et son âme romanesque s’envolait au-delà des murs du palais, quand il lui sembla apercevoir au fond de sa tasse la barque et le pêcheur. Elle crut entendre une voix d’homme ample et puissante, et dans le même temps si juste, si harmonieuse, que son cœur fut touché. Elle comprit alors que ce n’était pas le pêcheur qu’elle avait aimé, mais l’infini de ses rêves. Tout est musique quand le cœur est prêt."

Tout est bien qui finit bien, un timide soleil a refait son apparition mais une question lancinante continue à me tarauder: que faisait cette boite dans cet endroit ? Et surtout comment ai-je pu commettre un pareil acte?

Aucun commentaire: