A l’heure où j’écris ces lignes, je suis dans un état second, comme entre ciel et terre, mais très près d’Horaisan, le Paradis de Lu Yu… (une île pour les Japonais si je me souviens bien). Je viens d’achever la dégustation de l’Anxi Tie Kwan Yin que m’ont offert Sanmao et Li-Ping. Il sommeillait dans le … congélateur depuis le premier jour de l’été (voir là), conseil de Sanmao, je voulais avoir tout mon temps pour le découvrir, l’apprivoiser. Je ne me doutais pas que 40 ans après les premiers pas de l’homme sur la lune, je découvrirais moi aussi l’extase des premiers pas sur Horaisan… Je pensais d’abord utiliser ma jolie théière "suisse" en porcelaine (http://www.lacaveathe.ch/), j’avais envie de cette belle mais elle a une contenance de 10 cl et je n’étais pas encore vraiment décidée à faire un test "technique", comme une radiographie de ce si jeune thé (5 g, 6 minutes). En ouvrant ce sachet, or et argent (un signe?), le trésor qui s’y cachait m’a explosé aux narines, une indicible palette aromatique m’a fait changer d’avis, et puis 7,3 g… J’ai donc choisi le zhong de 15cl, un autre conseil de Sanmao, "la porcelaine est neutre et restitue donc entièrement tous les parfums et les saveurs du thé". Ce fut une découverte plaisir et non une approche technique, qui demande règles précises pour pouvoir répliquer l’expérience gustative. Après avoir réveillé les feuilles, j’ai commencé mes infusions, sans minuteur, à l’instinct. Ou plus exactement d’après le parfum dégagé par ce nectar dans le couvercle du zhong. a première infusion n’a duré que quelques secondes tellement était forte la concentration d’arômes. Un goût de beurre se dégage de la tasse à sentir et c’est aux dentelles bretonnes que je songe quand ce nectar tapisse mon palais, un vrai délice ! Dès cette première infusion, les feuilles se sont déjà bien ouvertes, ce qui m’étonne après seulement 15 secondes maximum (le temps de déposer la bouilloire sur son socle). Je pense que c’est dès la première tasse que j’ai commencé à quitter terre. Des images, des sensations, des morceaux de poèmes m’ont envahie, et en même temps je continuais à infuser ce breuvage, toujours aussi doux, toujours aussi fleuri, et toujours à l’instinct… Et les infusions se sont succédées, j’étais comme assoiffée de ce breuvage, de cette perfection. Je n’ai pas compté le nombre d’infusion, je sais seulement que j’ai vidé ma carafe Brita (1l ½). Les feuilles sont devenues énormes. Je pense avec reconnaissances à ces habiles cueilleuses et à ces artisans qui ont mis tout leur art et leur passion pour produire ce qui m’a transportée à Horaisan. Et j’ai relu ce superbe poème de Lu Tung, ce fou du thé dont on ne connaît en général qu’un très court extrait.
Le chant du thé
Je reposais, perdu dans le sommeil,
tandis que le soleil du matin montait haut dans le ciel,
Lorsque mes rêves furent brisés par de violents coups à la porte.
Un fonctionnaire apportait une lettre du censeur impérial,
Ses trois grands sceaux apposés
sur la blanche couverture de soie.
Je l’ouvris et je lus quelques mots
qui me le rappelèrent vivement à l’esprit.
Il écrivait qu’il envoyait trois cents catty de gâteaux de thé en forme de lune,
Car une route avait été ouverte au début de l’année
conduisant à un jardin de thé spécial.
Quel thé ! Et récolté si tôt dans l’année
alors que les insectes bourdonnaient à peine,
Alors que les brises du printemps
commençaient tout juste de souffler
Et que les fleurs de printemps n’osaient s’ouvrir,
puisque l’empereur attendait encore
le tribut annuel de thé Yang-Hsien
Ah, qu’il est merveilleux ce thé
cueilli avant que la brise aimable
Ait balayé les perles de glace de ses feuilles
Et dont les minuscules bourgeons brillent comme l’or !
Emballé frais encore
et son parfum exhalé par la torréfaction,
Sa bonté essentielle a été préservée
et rien n’a été gaspillé.
Ce thé était destiné à la cour et à la haute noblesse ;
Comment est-il parvenu à la cabane d’un modeste montagnard ?
Pour honorer le thé, j’ai clos mon portail de branchages
De peur que des gens vulgaires ne viennent m’importuner
Et j’ai pris ma tasse diaphane
pour le préparer et le savourer tout seul.
Le premier bol onctueusement humecte mes lèvres et mon gosier ;
Le deuxième bannit toute ma solitude ;
Le troisième dissipe la lourdeur de mon esprit,
affinant l’inspiration acquise par tous les livres que j’ai lus.
Le quatrième produit une légère transpiration,
Dispersant par mes pores les afflictions de toute une vie.
Le cinquième bol purifie tous les arômes de mon être.
Le sixième me fait de la race des Immortels.
Le septième est le dernier… je n’en puis boire davantage.
Je sens seulement le souffle du vent froid
Gonfler mes manches.
Où est Horaisan ?
Laissez-moi monter sur cette douce brise
Et qu’elle m’y emporte.
Où sont ces Iles des Immortels auxquelles je suis destiné ?
Moi, Maître Source de Jade, je chevaucherai cette brise
Jusqu’au lieu où les Immortels touchent terre,
Protégés du vent et de la pluie par leur divinité.
Mais comment puis-je supporter le sort d’êtres innombrables
Nés pour peiner amèrement dans les hauteurs des cimes ?
Je dois demander au censeur Mêng de me dire
Si jamais au repos ces êtres auront droit.
Un petit rappel, c'est lui aussi qui a écrit: " Je ne m'occupe nullement de l'immortalité mais du goût du thé". Je partage entièrement cette sage parole de mon illustre ancêtre... Il l'est puisqu'on l'a appelé le Fou du Thé et mes amis m'appellent la Folle du thé... logique, non? Je me sens à présent incroyablement calme et détendue, après l'excitation des premières infusions. Merci une fois encore à vous deux de m'avoir fait un tel présent!
Faire connaissance
-
Lorsque l’on observe la feuille sèche, on apprend quelque chose du thé : sa
teneur en bourgeons, la taille et la couleur de la feuille, son degré
d’oxydati...
Il y a 1 semaine
8 commentaires:
Une superbe moment partagé. Et je suis ravie de lire ici tes découvertes "à l'instinct", en fonction de l'odeur du couvercle du zhong! Alors? es-tu déçue de ne pas l'avoir minuté?
Que du contraire! C'est l'explosion des parfum dès l'ouverture du sachet qui m'a poussé à le faire ainsi, ce TKW a tellement à donner...
Rien qu'en te lisant ce matin, j'ai l'impression de palper un peu de cette émotion en découvrant ce breuvage d'immortalité... Mais je suis persuadée que dans le fond l'immortalité n'a qu'un temps et que c'est essentiellement le goût qui compte et peut-être aussi le ravissement des yeux.
Merci pour le partage en tout cas !
Bientôt, tu pourras te faire ta propre opinion, qu'en dis-tu?
Bonjour Francine
Je découvre (presque chaque jour) tes messages et aujourd'hui je me sens un peu concerné par celui-ci car j'ai moi aussi goûté ce thé chez Sanmao lors de son après-midi découvertes des thés et je l'ai ADORE , il est vraiment extraordinaire et quel parfum , j'en ai acheté quelques petits paquets dorés et argentés , un plaisir réservé aux grandes occasions et surtout au moment le plus relax de la journée , à déguster ! Merci pour tous ces renseignements , je suis devenue une "fan" de ton blog .A bientôt Brigitte
Merci pour ton gentil message. Moi aussi j'ai succombé aux ateliers de Sanmao, je me suis inscrite le 30 août pour la dégustation des Long Jing et le 20 septembre pour les Dan Cong, peut-être s'y rencontrera-t-on?
J'attends avec impatience ce moment où je pourrais à mon tour goûter ce thé chez Sanmao.
Si je me fie à tes commentaires (ainsi qu'à celui de Brigitte), j'ai l'impression qu'il s'agit d'une belle expérience, d'un plaisir rare...
Encore quelques jours...
Je ne sais pas ce que Sanmao nous réserve comme surprise gustative le 20, mais ce TKY sera au menu chez moi le 19... encore un peu de patience!
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