Je viens de refermer Le Maître de Thé et je suis encore toute remuée par ce chef-d'oeuvre. Et pourtant, tout avait mal commencé. Tout d’abord, j’ai compris pourquoi ce livre ne m’avait pas plu. Cela fait longtemps que je le possédais et à l’époque comme j’étais tout le temps dans l’action, la lenteur de ce livre m’avait énervée ; je buvais déjà du thé mais pas encore de thé japonais et j’avais toujours cette méfiance envers une culture qui manie le raffinement aussi bien dans la cruauté que dans l’art et l’esthétisme. C’est en sortant de la fabuleuse exposition du Musée Cernuschi que je me le suis procuré. J’avais été bouleversée par ces "poteries", et ressenti des émotions esthétiques très fortes face à ces "simples objets" dont je ne connaissais rien. J’avais l’impression que je voyais les artistes à l’œuvre tant ces bols me donnaient l’impression d’être vivants. Et c’est cette "simple" phrase de Sen No Rikyu qui me l’a fait acheter. Ma déception fut évidemment grande, l’écrit ne me parlait vraiment pas, quel contraste avec ce que je venais d’admirer ! Une anecdote assez drôle : j’avais sorti ce livre de ma bibliothèque-thé et quand Fanou est venue partager un thé avant son départ, elle m’a dit qu’elle l’emmenait en Guadeloupe parce que jusqu’ici, elle n’était pas parvenue à rentrer dedans ! Je me demande ce qu’elle en pensera… C’est donc avec une certaine appréhension que je l’ai repris avec devant les yeux la phrase du Maître :
« Qu’est-ce que le Thé ?
Faire chauffer de l’eau
Y battre de la poudre de thé
Et boire
Saisir l’essentiel »
Je n’ai pas choisi du Matcha pour accompagner ma lecture, ce fut d’abord un Cassia que j’ai infusé cette fois en grande théière, j’avais envie d’un grand thé pour m’aider à comprendre la pensée de l’auteur. Et à mon grand étonnement, je me suis habituée à la lenteur et à cette impression de "décousu". J'ai également souri à la lecture de cet extrait... Quand mes yeux se troublaient, je déposais le livre et admirais ce chef-d’œuvre de la nature en écoutant de la musique, en pensant à ce que j’avais lu et qui résonnait en moi. Il a fait froid et pluvieux, j’adaptais alors mes thés à ce temps automnal, étonnée qu’il ne provoque en moi aucun sentiment négatif… Aujourd'hui, ce sera un Phoobsering. Je continue ma lecture et une phrase revenait souvent : "Wabisuki-joju, chanoyu kanyo" (= style simple et sain dans la cérémonie du thé), outre le fait qu’en la lisant à haute voix, elle chantait, elle entrait en résonance avec celle de Sen No Rikyu… J’étais enfin conquise par cette lecture qui m’a plongée pendant des jours au Moyen Age, dans ce pays de grands contrastes. Même si certains passages me restent mystérieux comme pratiquer la cérémonie avant d’aller se faire tuer au combat. J’y retrouve ces contradictions comme autant d’antinomies, associer le raffinement du thé à la violence de la guerre, j’ai du mal… J’ai une excuse, je ne suis pas japonaise et je ne vis pas dans ces temps troublés. Il fait toujours aussi froid et pour accompagner cette lecture, je choisis cette fois un Qimen Mao Feng, un thé chaleureux. Ce livre me bouleverse, il n’est pas seulement l’histoire romancée autour de la mort violente de Sen No Rikyu, qui a dû se suicider sur commande, geste à la fois lyrique et insensé pour l’occidentale que je suis. "Monsieur Rikyu a assisté à la mort de nombreux samouraïs m’avait-il dit un jour. Combien d’entre eux ont dégusté le thé préparé par Monsieur Rikyu avant d’aller trouver la mort sur le champ de bataille ? Quand on a assisté à la mort de tant de guerriers, on ne peut pas se permettre de mourir dans son lit !". Cela m’a donné froid dans le dos parce que pour moi, ce livre est aussi (et surtout), une recherche exigeante du vrai sens de la vie, de la perfection dans la simplicité dans une période de violence inouïe. La cérémonie telle que décrite tout au long de ces pages est à la fois une discipline exigeante et un art certain. Il ne me reste plus que quelques pages avant de refermer cet ouvrage qui est tombé à pic pour moi. Je me suis sentie plus sereine, mon esprit s’est apaisé même si je n’ai pas encore réglé complètement le choc de cette culture que je ne cerne pas encore vraiment. Ce roman si particulier pousse à la méditation, essayent de comprendre de l’intérieur comme des hommes exceptionnels ont consacré leur vie à la recherche de la perfection, celle des gestes, des objets, de la pureté. Après l’avoir refermé et écouté la musique très zen de Yosho Kurahashi, je me suis préparé un Matcha, et j’ai eu l’impression que mes gestes étaient plus harmonieux… Ce livre laissera des traces en moi par delà mes interrogations sur cette époque si troublée que les gens vivaient avec la mort, et pas n’importe laquelle, violente ! Le thé est vécu comme une expérience quasi mystique à tel point que le disciple de Sen No Rikyu dont il est question ici, le moine Honkakubo, s’est retiré du monde après la mort de celui-ci et a consacré sa vie à essayer de pénétrer dans l’esprit de son Maître et comprendre en quoi consiste l’essence même de cette cérémonie du thé. Tu avais raison, David, ce livre est fantastique, mais il m’a fallu plus d’un week-end pour l’achever.
« Qu’est-ce que le Thé ?
Faire chauffer de l’eau
Y battre de la poudre de thé
Et boire
Saisir l’essentiel »
Je n’ai pas choisi du Matcha pour accompagner ma lecture, ce fut d’abord un Cassia que j’ai infusé cette fois en grande théière, j’avais envie d’un grand thé pour m’aider à comprendre la pensée de l’auteur. Et à mon grand étonnement, je me suis habituée à la lenteur et à cette impression de "décousu". J'ai également souri à la lecture de cet extrait... Quand mes yeux se troublaient, je déposais le livre et admirais ce chef-d’œuvre de la nature en écoutant de la musique, en pensant à ce que j’avais lu et qui résonnait en moi. Il a fait froid et pluvieux, j’adaptais alors mes thés à ce temps automnal, étonnée qu’il ne provoque en moi aucun sentiment négatif… Aujourd'hui, ce sera un Phoobsering. Je continue ma lecture et une phrase revenait souvent : "Wabisuki-joju, chanoyu kanyo" (= style simple et sain dans la cérémonie du thé), outre le fait qu’en la lisant à haute voix, elle chantait, elle entrait en résonance avec celle de Sen No Rikyu… J’étais enfin conquise par cette lecture qui m’a plongée pendant des jours au Moyen Age, dans ce pays de grands contrastes. Même si certains passages me restent mystérieux comme pratiquer la cérémonie avant d’aller se faire tuer au combat. J’y retrouve ces contradictions comme autant d’antinomies, associer le raffinement du thé à la violence de la guerre, j’ai du mal… J’ai une excuse, je ne suis pas japonaise et je ne vis pas dans ces temps troublés. Il fait toujours aussi froid et pour accompagner cette lecture, je choisis cette fois un Qimen Mao Feng, un thé chaleureux. Ce livre me bouleverse, il n’est pas seulement l’histoire romancée autour de la mort violente de Sen No Rikyu, qui a dû se suicider sur commande, geste à la fois lyrique et insensé pour l’occidentale que je suis. "Monsieur Rikyu a assisté à la mort de nombreux samouraïs m’avait-il dit un jour. Combien d’entre eux ont dégusté le thé préparé par Monsieur Rikyu avant d’aller trouver la mort sur le champ de bataille ? Quand on a assisté à la mort de tant de guerriers, on ne peut pas se permettre de mourir dans son lit !". Cela m’a donné froid dans le dos parce que pour moi, ce livre est aussi (et surtout), une recherche exigeante du vrai sens de la vie, de la perfection dans la simplicité dans une période de violence inouïe. La cérémonie telle que décrite tout au long de ces pages est à la fois une discipline exigeante et un art certain. Il ne me reste plus que quelques pages avant de refermer cet ouvrage qui est tombé à pic pour moi. Je me suis sentie plus sereine, mon esprit s’est apaisé même si je n’ai pas encore réglé complètement le choc de cette culture que je ne cerne pas encore vraiment. Ce roman si particulier pousse à la méditation, essayent de comprendre de l’intérieur comme des hommes exceptionnels ont consacré leur vie à la recherche de la perfection, celle des gestes, des objets, de la pureté. Après l’avoir refermé et écouté la musique très zen de Yosho Kurahashi, je me suis préparé un Matcha, et j’ai eu l’impression que mes gestes étaient plus harmonieux… Ce livre laissera des traces en moi par delà mes interrogations sur cette époque si troublée que les gens vivaient avec la mort, et pas n’importe laquelle, violente ! Le thé est vécu comme une expérience quasi mystique à tel point que le disciple de Sen No Rikyu dont il est question ici, le moine Honkakubo, s’est retiré du monde après la mort de celui-ci et a consacré sa vie à essayer de pénétrer dans l’esprit de son Maître et comprendre en quoi consiste l’essence même de cette cérémonie du thé. Tu avais raison, David, ce livre est fantastique, mais il m’a fallu plus d’un week-end pour l’achever.
5 commentaires:
J'abonde dans ton sens, il y a un temps pour tout. J'en parlais le 29 juin 2008: il a fallu que je lise, du même auteur, "La mort de Rikyu" (Rikyu no shi 1951) trouvée dans le recueil de nouvelles Pluie d'orage (Stock 2001), pour enfin traverser Le maître de thé.
Kris
Je n'ai pas eu de difficulté à rentrer dedans, mais il faut dire que j'ai eu la chance incroyable de le lire lors d'un mois de voyage au Japon...
Je pense qu'effectivement, ce livre permet de mieux appréhender la culture japonaise (et pas que celle du thé), ces contradictions dont tu parles, qui sont surement les signes d'une civilisation tellement différente de la notre.
Je sais que ce livre m'accompagnera longtemps, et pas que parce que je suis fan de thé. Les leçons de Rikyu vont au-delà.
Je suis ravi qu'il t'ait plu.
Hi Francine, Thanks for this interesting post. I miss your blog greatly. I´ll be back to my bloging & tea missions again soon too. Thanks for your encouraging words on my last post before my blog pause. You & your blog inspires ...see you again!
/Celina
Pour moi pas de difficulté pour rentrer le livre, je devais être prête pour ça.
Par contre je vois que ton thé matcha est posé sur un set en sashiko et là, pour moi qui suis dedans depuis 15 jours, c'est un vrai pensum.
Je trouve qu'intellectuellement il n'y a rien d'intéressant là dedans, juste du point avant et suivre le tracé, c'est d'un ennui. Je continue car je me suis fixé un but pour une amie qui m'a procuré tout le nécessaire mais ce n'est vraiment pas ce que je préfère dans la broderie. Parle moi de points compliqués à faire de motifs à inventer de points comptés etc....même si tu inventes plus ou moins tes motifs de sahiko c'est plat à faire. Bon je suis loin de Seno RIKYU.
Ici pluie et sale temps depuis samedi donc plein de temps pour broder mais vivement que ce soit fini
@ Kris: je voudrais bien lire ce livre sur Rikyu, j'espère qu'on peut encore le trouver, merci pour l'info Kris
@ David: un mois "in situ", petit veinard, je pense que cela peut aider!
@ Celina: so glad to read you again, thanks for your post
@ Sylviane: eh bien, qu'est-ce qui te prend? Tu dois être en manque de thé! Et tu dois être maso... si tu n'aimais pas, pourquoi y être restée 15 jours? Quant à moi je suis admirative de ce travail de longue patience, et d'amitié! Chaque fois que je le regarde, je pense à celle qui s'est donné la peine de réaliser ce set que je trouve superbe, et qui va si bien ici! Merci encore Michelle!
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